GRAVITATION - Histoire des idées

GRAVITATION - Histoire des idées
GRAVITATION - Histoire des idées

La gravité est une propriété inhérente aux masses. Elle se traduit par le phénomène de la chute des corps. Tout corps matériel est donc un «grave» dans la mesure où il est soumis à la pesanteur et dans la mesure où il crée, éventuellement, un état de pesanteur.

Pendant longtemps, la notion de mouvement des corps célestes est restée totalement disjointe de celle de gravité. C’est au XVIe siècle seulement qu’on a soupçonné puis précisé la parenté entre la gravité et l’interaction qui s’exerce entre les astres. Newton devait bientôt transformer le mouvement des astres en «gravitation» et les forces d’attraction en propriétés caractéristiques d’une «gravitation universelle».

Au sens large, la gravitation s’identifie à l’action, c’est-à-dire, comme on l’a pensé longtemps, à la propension naturelle qui détermine le mouvement des corps célestes. Dans une acception plus précise qui se fait jour au XVIIe siècle, la gravitation se présente comme une cause, une force dont l’expression per
met de connaître les caractères particuliers de chaque trajectoire.

Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, on se contente d’édifier des systèmes du monde fondés sur des mouvements circulaires «naturels». On essaie ainsi de reconstruire, au moyen de ces rouages élémentaires, les apparences observables.

Au contraire, selon Newton, une force d’attraction est responsable d’une gravitation universelle. Le calcul infinitésimal permet alors de passer des forces aux trajectoires et d’obtenir leurs caractéristiques, connues déjà en partie par les lois de Kepler. La gravitation universelle conduit ainsi à l’énoncé de lois vérifiables, non seulement pour les trajectoires des planètes qui constituent le système solaire, mais aussi pour l’ensemble des corps célestes.

En dépit de sa généralité, la théorie de la gravitation conçue par Newton comporte de très légers désaccords avec l’expérience. D’autre part, sous leur forme primitive, les forces de gravitation ne sont pas immédiatement réductibles à une action de proche en proche et semblent donc étrangères aux conceptions de «champ» que suscite, au XIXe siècle, le développement de la théorie électromagnétique.

Après l’édification de la relativité restreinte, Einstein est amené à interpréter les forces d’inertie (forces centrifuges, etc.) comme la traduction locale d’une structure courbe de l’univers quadridimensionnel. Ainsi peut être formulé un principe de relativité générale. D’autre part, un principe d’équivalence implique une assimilation locale des forces d’inertie et des forces de gravitation. Ces dernières peuvent donc, elles aussi, être dues à la courbure d’un univers essentiellement non euclidien. La relativité générale se propose ainsi comme une théorie non euclidienne du champ de gravitation. La loi newtonienne d’attraction peut se déduire immédiatement du mouvement libre d’un corps dans l’espace non euclidien créé par les masses. Elle se réduit à des conditions de structure.

La relativité générale, comme théorie non euclidienne du champ de gravitation, implique des dérogations aux prédictions newtoniennes. Ces dérogations viennent interpréter exactement les désaccords expérimentaux qui subsistaient (avance des périhélies des planètes). À l’heure actuelle, la gravitation peut donc être conçue comme l’effet de la structure non euclidienne de l’espace-temps. Elle se retranscrit, en première approximation, selon le formalisme de Newton. Les anciennes «actions à distance» deviennent des propriétés inhérentes à la géométrie de l’Univers.

1. Gravitation et systèmes du monde

La conception de la gravitation comme une force contraignante est relativement récente. Les philosophes de l’Antiquité supposaient, au contraire, que les astres accomplissaient des mouvements «naturels» et parfaits. Aucune cause extrinsèque n’avait donc à intervenir. La perfection des trajectoires circulaires décrites par des mobiles libres était posée en principe. Ainsi, à l’heure actuelle, le mouvement rectiligne et uniforme d’un point matériel réputé libre, c’est-à-dire soustrait à l’action de toute force, de toute contrainte, est posé en principe (principe d’inertie). D’une manière analogue, une vaste inertie circulaire a longtemps semblé nécessaire et suffisante pour interpréter les apparences.

Ces interprétations «totalitaires» restent souvent naïves et purement imaginatives. Les systèmes du monde conçus par la physique milésienne, la plus ancienne de la Grèce (VIe siècle av. J.-C.), apparaissent d’une extrême variété. Pour Anaxagore de Clazomènes (IVe siècle av. J.-C.), le cosmos s’organise à partir d’un chaos primitif. Les astres, projetés par un tourbillon initial centré sur la Terre, se disposent suivant un certain ordre: la Lune, le Soleil, les planètes, les étoiles fixes. Ces dernières restent implantées dans une sorte de sphère limite qui ne saurait être dépassée.

Pourtant, dès le IVe siècle avant J.-C., certains pythagoriciens (Philolaos) supposent que le centre du monde, distinct de la Terre, serait occupé par un feu central. La distinction entre un monde supérieur dans lequel s’effectuent des mouvements circulaires parfaits, décrits par des rapports harmoniques et des nombres simples, et un monde sublunaire chaotique et corruptible date de cette époque. Platon, puis Aristote vont s’attacher à préciser les critères de cette harmonie sans contrainte qu’est alors la gravitation.

Sphères homocentriques

Le système habituellement adopté est d’abord celui des sphères homocentriques, dû vraisemblablement à Eudoxe de Cnide, système dans lequel chaque planète est fixée à une sphère mobile centrée sur la Terre. Pour Eudoxe, le mouvement indépendant de chaque sphère détermine celui de la planète. Pour Aristote, l’existence d’un univers plein exige la présence de sphères intermédiaires compensatrices (fig. 1).

Excentriques et épicycles

L’époque hellénistique (IIIe siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C.) voit une prolifération considérable des systèmes du monde. Tandis qu’Aristarque de Samos développe les conséquences d’une hypothèse héliocentrique (IIIe siècle av. J.-C.), la plupart des astronomes s’attachent à modifier le système des sphères homocentriques, système trop rigide pour rendre compte des apparences mieux conçues. Ces apparences montrent en effet que les planètes ne peuvent rester toujours à la même distance de la Terre, centre du monde.

Pour interpréter ce fait sans lui sacrifier le dogme du mouvement circulaire parfait, il faut supposer que le centre des cercles – centre éventuellement mobile – peut être différent de la Terre, qui demeure néanmoins le centre du cosmos.

On parvient ainsi à expliquer le mouvement apparent des planètes sur la base de trajectoires élémentaires circulaires (épicycles) centrées sur un point fictif distinct de la Terre (fig. 2). Ce point peut décrire lui-même un cercle (déférent), soit dans le même sens que celui de la planète (épicycle direct, fig. 3), soit dans le sens contraire (épicycle rétrograde).

Pendant tout le Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, l’hypothèse géocentrique de Ptolémée, développée dans le système des circulaires et des excentriques, demeure la pierre angulaire nécessaire pour toute description du mouvement apparent des planètes.

Au XIIIe siècle, après Alhazen, se confirme la supériorité du système de Ptolémée par opposition aux hypothèses trop rigides d’Aristote. En dépit des critiques d’Averoès, le géocentrisme sous la forme que lui avait donnée l’école alexandrine semble s’imposer. Néanmoins, les deux grands systèmes du monde possèdent une base commune indiscutée: la distinction radicale entre les lois du monde parfait des sphères et celle du monde corruptible sublunaire; le caractère éminemment privilégié du mouvement circulaire.

Ces deux postulats vont être peu à peu battus en brèche par l’extension des lois de la physique à l’univers tout entier, par une conception plus claire de l’inertie. Sans contribuer de façon décisive à l’édification de systèmes du monde, de lois de la gravitation, les critiques de Giordano Bruno, de Galilée, de Descartes vont constituer les adjuvants indispensables qui assureront le triomphe de l’héliocentrisme de Copernic et, sur cette base, les conceptions modernes de la gravitation.

2. L’héliocentrisme de Copernic et les lois képlériennes

Le système de Copernic paraît en 1543 (De revolutionibus orbium coelestium ). Il justifie les apparences observables du mouvement des astres sur la base d’une hypothèse héliocentrique (cf. Nicolas COPERNIC). À partir du Soleil s’échelonnent les trajectoires, toujours circulaires, de Mercure, de Vénus, de la Terre, de Mars, de Jupiter, de Saturne; la sphère des fixes limite le tout, limitation que va récuser, un peu plus tard (1584), Giordano Bruno (fig. 4 et 5).

Les réticences opposées au système de Copernic sont considérables. Tycho Brahe (1546-1601) lui-même reste fidèle à un géocentrisme de principe, mais accepte néanmoins l’idée de la rotation des planètes autour du Soleil. Celui-ci, avec son cortège d’astres errants, tourne lui-même autour de la Terre.

Les travaux de Kepler (1571-1630), élève de Tycho Brahe, vont conférer à l’héliocentrisme de Copernic son caractère contraignant, en précisant ses conséquences par des lois quantitatives (cf. Johannes KEPLER).

Les trois lois de Kepler s’énoncent en effet ainsi:

Première loi : les planètes décrivent, autour du Soleil, des trajectoires planes. Les aires balayées en des temps égaux par le rayon vecteur sont égales (loi des aires).

Si (r , ) représentent les coordonnées polaires de la planète, l’origine des coordonnées coïncidant avec le Soleil, la première loi de Kepler s’écrit alors:

ds = (r 2d )/2 étant l’aire élémentaire balayée pendant l’intervalle de temps dt (fig. 6). La constante h est dite constante des aires.

Deuxième loi : les trajectoires des planètes sont des ellipses dont le Soleil occupe l’un des foyers. Plus généralement, les trajectoires d’un corps soumis à une force centrale seraient des sections coniques (ellipses, paraboles, hyperboles) suivant la vitesse initiale du corps d’épreuve.

Troisième loi : le carré de la durée de révolution autour du Soleil est proportionnel au cube des grands axes des ellipses.

Si a représente le demi-grand axe de l’ellipse et T la durée d’une révolution autour du Soleil:

en négligeant l’influence perturbatrice des autres planètes.

Ces trois lois conduisent à des prévisions calculables, en bon accord avec l’observation. Toute conception ultérieure de la gravitation devra donc, en première approximation, retrouver les lois képlériennes.

Notons que les lois de Kepler établissent des relations entre les éléments des trajectoires, mais ne se préoccupent pas de la «cause» de ces apparences. En ce sens, elles ne sont pas encore des lois de la gravitation, conçue comme «force» soumise à des règles.

Néanmoins, Kepler avait pressenti que des actions réelles entre les astres pouvaient conduire à prévoir la forme de ces trajectoires. Pour lui, un pouvoir attractif est inhérent à la présence de matière. Il se propage instantanément, comme la lumière. Kepler rattache d’ailleurs les actions de gravitation à des propriétés magnétiques. Il rapproche les modes de propagation de l’attraction et des phénomènes lumineux.

Enfin, à côté de ces grands progrès, les théories képlériennes de l’attraction gardent encore la survivance d’une physique des qualités occultes: puissances sympathiques ou hostiles, âme immortelle des astres. Ces résidus vont être définitivement balayés par les conceptions de Galilée et de Descartes.

3. Le mouvement des astres relève de la mécanique

La physique de Galilée, comme celle de Descartes, allait étendre sans restriction au mouvement des astres les lois mécaniques applicables au monde sublunaire. Malheureusement, pour Galilée comme pour Descartes, une conception claire et fructueuse de l’attraction ne devait pas voir le jour.

Pour Galilée, la gravité demeure l’apanage de tout corps matériel, si bien que ce corps «libre», qui décrirait une droite s’il était dépourvu de masse, parcourt une courbe en raison de sa gravité.

Quant à Descartes, le vaste projet de réduire tous les phénomènes à l’étendue et au mouvement l’oblige, dans un cosmos plein de milieux subtils, à considérer les effets de gravitation comme des tourbillons. C’est donc une conception purement cinématique de la gravité qu’atteint la synthèse cartésienne, «la plus belle hypothèse que jamais le genre de l’homme ait conçue», selon d’Alembert. Elle reste en outre qualitative, inspirée par les caractères particuliers des phénomènes et sans nul pouvoir explicatif. Ce sont pourtant les théories issues du cartésianisme qu’on oppose, pendant longtemps, à la conception newtonienne de l’attraction.

La théorie newtonienne de l’attraction universelle est préparée par les travaux de Ismaël Boulliau, de Giovanni Alfonso Borelli, de Christiaan Huygens et de Robert Hooke: le premier imagine une loi d’attraction en 1/r 2, mais c’est pour l’abandonner bientôt au profit d’explications «réelles» finalistes. Borelli suppose que le mouvement des planètes résulte d’une combinaison des effets produits par une force attractive et par une force centrifuge. Cette intervention encore qualitative d’une force centrifuge va être précisée par Huygens.

Les expériences de chute des corps réalisées par Hooke du haut de la tour de Westminster essaient de vérifier la variation de la force attractive terrestre (pesanteur) en fonction de la distance au centre de la Terre. Leur précision est évidemment insuffisante, mais elles vont orienter Newton dans une voie fructueuse.

4. Gravitation et pesanteur

L’essentiel de la synthèse que constitue la notion de gravitation universelle reste à faire. Cette idée, exposée dans les Principia (1687), a son origine dans la comparaison des forces de pesanteur en différents points de la Terre. L’épisode de la chute de la pomme, épisode conté par Voltaire, semble relever de la légende et, de toute façon, n’aurait pu être exploité que par une critique déjà avertie.

Pour éprouver les variations de pesanteur sur un corps situé à une distance plus lointaine de la Terre, Newton a l’idée de choisir la Lune. Il suppose que celle-ci «tombe» sur la Terre suivant la loi de Galilée, mais que, en raison de sa vitesse initiale, elle décrit une trajectoire curviligne. Tout d’abord, les prévisions newtoniennes semblent infirmées par les lois de Kepler, et Newton diffère la publication de cette audacieuse hypothèse. Enfin, la mesure correcte du rayon terrestre, réalisée par Jean Picard en 1682, permet un calcul correct des masses et confirme l’hypothèse newtonienne: pesanteur et gravitation sont les deux aspects d’un même piénomène et obéissent à une même loi.

Une loi élémentaire:

explicite l’action qui s’exerce entre deux corps matériels de «masses graves» M et M , distants de r .

En admettant, selon les critères expérimentaux, la proportionnalité universelle entre la «masse grave» M d’un corps, responsable des actions de gravitation, et sa «masse inerte» m , conçue comme une résistance aux variations de vitesse (accélération), c’est-à-dire en posant:

la loi d’attraction devient:

et s’exprime en fonction des masses inertes, faisant ainsi intervenir la constante newtonienne d’attraction universelle:

Cette loi s’écrit encore:

U étant le potentiel newtonien créé par la masse m au point où est située la masse m .

En rapprochant cette loi d’attraction de la loi fondamentale de la dynamique:

on connaît ainsi l’expression:

de l’accélération d’un corps matériel sous l’influence de forces centrales déduites du potentiel newtonien U.

Il est alors possible de passer de l’accélération ゔ à la forme des trajectoires en utilisant un procédé d’intégration mis au point par Newton lui-même: la méthode des fluxions. Il est remarquable que le calcul infinitésimal, si récemment développé, ait été précisément l’outil nécessaire pour éprouver la validité de la loi d’attraction, par une déduction des caractéristiques des trajectoires.

Le calcul des trajectoires permet en effet à Newton de retrouver toutes les prévisions képlériennes relatives au mouvement des planètes. Plus généralement, les corps matériels soumis à une force centrale, force déductible d’un potentiel newtonien, décrivent, selon leur vitesse initiale, des sections coniques: ellipses, paraboles, hyperboles.

En dépit de son caractère quantitatif et des possibilités immédiates qu’elle offrait, la loi newtonienne d’attraction universelle fut d’abord accueillie avec une grande méfiance. Pour une opinion imbue des idées cartésiennes, la notion de «force attractive» semblait un retour aux conceptions passées de qualités occultes.

Bien entendu, il n’en est rien: d’une part, la notion de force attractive définit une quantité parfaitement déterminée et toujours calculable; d’autre part, les notions d’«action à distance», «incompréhensibles ou miraculeuses», selon l’expression de Leibniz, ne sont aucunement incluses nécessairement dans la loi newtonienne. Celle-ci définit une notion précise au moyen d’une expression mathématique donnée. Qu’elle puisse recouvrir des actions plus fines, Newton ne le conteste ni ne l’affirme: il renonce à se prononcer sur des constructions alors toutes gratuites qui lui semblent constituer des hypothèses incertaines sur la nature d’un phénomène «gravitation», dont il s’attache seulement à préciser la loi.

5. Newtonianisme, gravitation universelle

En Angleterre même, le système newtonien se développa tout d’abord assez lentement. Le ralliement du continent à l’idée de gravitation universelle semblait plus difficile encore.

C’est Maupertuis qui introduit officiellement le newtonianisme à l’Académie des sciences. «Il a fallu plus d’un demi-siècle, constate-t-il, pour apprivoiser les académies du continent avec l’attraction. Elle demeurait enfermée dans son île ou, si elle passait la mer, elle ne paraissait que la reproduction d’un monstre qui venait d’être proscrit [...] On était si charmé d’avoir introduit dans l’explication de la nature une apparence de mécanisme qu’on rejetait sans l’écouter le véritable mécanisme qui venait s’offrir.»

D’autre part, Voltaire essaie par ses écrits enthousiastes de convertir au newtonianisme un public encore réticent. La traduction des Principia par la marquise du Châtelet est précédée d’un poème en l’honneur de la gravitation universelle.

Enfin, des progrès aussi bien théoriques qu’expérimentaux viennent sans cesse étayer la nouvelle théorie de l’attraction: développement sur le problème des deux corps (Daniel Bernoulli, 1734); mesure de l’aplatissement terrestre (1737) en accord avec les prévisions newtoniennes; le retour de la comète de Halley, prédit pour 1759 par les tables newtoniennes, est effectivement observé.

Les succès de la théorie newtonienne de la gravitation sont si étendus, la précision sans cesse accrue par la méthode des perturbations demeure tellement satisfaisante que, en 1902, Henri Poincaré peut écrire que la mécanique céleste «n’a pas d’autre objet que les vérifications sans cesse approfondies de la loi newtonienne d’attraction». Cette vérification s’effectue de mieux en mieux grâce au développement des grands observatoires construits dès la fin du XVIIe siècle.

Le newtonianisme ne s’attache pas seulement à expliquer le mouvement des astres au moyen d’une loi d’attraction. Il veut expliquer par cette loi ou par une loi analogue non seulement la gravitation, mais bien d’autres phénomènes: réflexion, réfraction, diffraction, dispersion de la lumière, capillarité, interactions physico-chimiques.

Newton lui-même avait appliqué la loi d’attraction au comportement de la lumière en attribuant à celle-ci une structure corpusculaire. Tout écart à la propagation rectiligne (diffraction) peut s’expliquer, par exemple, par l’intervention de forces attractives issues des obstacles matériels, fentes ou écrans.

Cette généralisation fait déborder largement la notion d’attraction du domaine de la mécanique céleste. Elle va s’accentuer chez les disciples et chez les successeurs de Newton: l’attraction devient alors une hypothèse de principe, régissant l’ensemble des phénomènes de la nature. À la fin du XVIIIe siècle, Rudjer Josip Boškovi が imagine que la matière est toujours réductible à des centres de forces, forces dont l’expression varie selon la distance et le domaine considéré, mais dont la présence peut expliquer de très nombreuses apparences.

6. Gravitation et physique du champ

Vers 1780, Coulomb étend la loi de force en 1/r 2 à l’interaction entre deux corps chargés primitivement immobiles: les particules possédant des charges de même signe se repoussent, tandis que les masses s’attirent, mais potentiels coulombien et newtonien ont la même forme.

Cette tentative, qui semble une nouvelle conquête de la loi newtonienne d’attraction, va aussi rapprocher les actions créées par les charges de celles créées par les masses. Les travaux d’Œrsted, de Faraday et de Maxwell s’attachent à définir le comportement d’un «champ électromagnétique», dont le support serait un hypothétique éther (cf. ÉLECTRICITÉ – Électromagnétisme). Ses propriétés mécaniques locales justifieraient les propriétés que traduisent les relations mathématiques de Maxwell. Cette réduction d’actions à distance (relations intégrales) à des actions de proche en proche (équations locales aux dérivées partielles) semble concerner aussi les actions de gravitation dont le comportement global (loi de force) est fort analogue. Pendant la dernière partie du XIXe siècle, on essaiera donc – sans grands résultats – de proposer des théories du champ de gravitation sur le modèle des théories du champ électromagnétique.

Ces tentatives sont inspirées peut-être par le fait que, selon l’opinion de Joseph de Maistre, «les philosophes attractionnaires n’ont jamais eu bonne conscience». Elles relèvent sûrement d’un désir d’unification entre les divers «champs physiques», la gravitation ne pouvant être seule le domaine d’actions à distance. Enfin, l’avènement de la relativité restreinte semble exclure toute théorie ne présentant pas une covariance par rapport au groupe de Lorentz, mais relevant uniquement de la covariance galiléenne. Or, telle est la loi newtonienne d’attraction.

En outre, sur un plan strictement expérimental, et en dépit de ses grands succès, la loi d’attraction newtonienne échoue à maintenir un accord total avec l’observation. Le mouvement des grosses planètes, singulièrement de la planète Mercure, constitue ce terrain litigieux.

L’observation du mouvement des grosses planètes manifeste en effet une avance «brute» du périhélie par rapport aux prédictions newtoniennes pour un problème de deux corps. Cette avance est presque totalement expliquée en appliquant une méthode de perturbation, c’est-à-dire en tenant compte de l’influence – non négligeable – des autres planètes. Néanmoins, dans le cas de Mercure, une avance résiduelle du périhélie, très approximativement égale à 42 d’arc par siècle (U. J. J. Le Verrier, S. Newcomb), semble totalement inexpliquée en se référant à la seule théorie newtonienne de l’attraction.

Pour la prévoir, on peut compliquer le modèle primitif en admettant que la présence d’une petite planète intramercurielle, l’existence d’un anneau de petites planètes, ou bien encore l’intervention d’une lumière zodiacale (hypothèse de Seelinger), vient fausser les conclusions primitives. Cependant, ces «coups de pouce» se révèlent bien vite inefficaces. Ces difficultés ont contribué sans doute à étayer la réforme d’Einstein. Néanmoins, celle-ci est suscitée par une nécessité interne beaucoup plus que par d’éventuelles corrections expérimentales.

7. La relativité générale, théorie non euclidienne du champ de gravitation

Le principe de relativité restreinte postule l’équivalence de tous les systèmes d’inertie (systèmes en mouvement rectiligne et uniforme) pour l’énoncé des lois de la physique. Selon Einstein, les systèmes d’inertie se déduisent les uns des autres par une transformation de Lorentz (Einstein, 1905) et non, comme on le postulait jusqu’alors, par une transformation de Galilée.

L’équivalence «restreinte» ainsi postulée se limite aux systèmes d’inertie, sans inclure les systèmes accélérés. En particulier, des expériences (pendule de Foucault, etc.) peuvent déceler la présence de telles accélérations, manifestant ainsi des mouvements «absolus» rapportés forcément à un espace, lui aussi, absolu.

Pour écarter l’idée d’espace absolu, contraire aux postulats d’une physique relativiste, il faudrait étendre aux systèmes accélérés l’équivalence réservée jusqu’alors aux systèmes d’inertie. Cette équivalence ne peut évidemment nier les effets physiques produits par les accélérations, mais elle consiste à les attribuer à la structure géométrique de l’espace-temps.

Un principe de relativité généralisé sera ainsi un principe d’inertie dans un espace non euclidien. Les mouvements libres s’effectuent alors dans cet espace courbe suivant des géodésiques , généralisation des droites euclidiennes. Ils se retranscrivent localement comme des mouvements accélérés dans l’espace euclidien tangent.

D’autre part, à ce principe de relativité généralisé on peut associer un principe d’équivalence : il est toujours possible, localement, de compenser les effets de champ de gravitation par un champ d’inertie convenablement choisi. Telle est la signification du fameux exemple proposé par Einstein: dans un ascenseur, une balle soumise à l’accélération g de la pesanteur tombe, s’élève ou reste immobile, suivant que l’accélération 塚, imprimée à l’ascenseur, est inférieure, supérieure ou égale à g . Dans ce dernier cas, le mouvement de chute libre entraîne donc un état d’apesanteur.

Si les forces de gravitation sont localement «équivalentes aux forces d’inertie» (principe d’équivalence), si les forces d’inertie peuvent être absorbées dans la structure non euclidienne de l’espace-temps pour définir des mouvements libres (principe de la relativité généralisée), on peut donc penser que les forces de gravitation peuvent être, à leur tour, incorporées dans une structure géométrique de l’espace (relativité générale). Le mouvement produit par des forces de gravitation sera ainsi localement équivalent à un mouvement libre (trajectoires géodésiques) dans un espace-temps non euclidien.

L’extension du principe de relativité poursuivie par Einstein dès 1912 aboutit donc, en 1915, à la formulation d’une théorie de la gravitation conçue comme une pure cinématique (mouvements libres géodésiques) dans un espace non euclidien.

Dans cette théorie, l’effet d’un corps doué de masse grave «active», tel le Soleil, n’est donc pas de créer des forces comme le pensait Newton (fig. 7), mais de courber l’Univers dans son voisinage. Dans cet Univers courbe créé par les graves, une «particule d’épreuve» – telle la Terre ou bien Mercure – n’est soumise à aucune force: elle est donc libre. Cette particule décrit alors les géodésiques de l’espace courbe (assimilables, par exemple, aux grands cercles d’une sphère), généralisation des droites de l’espace euclidien. Ces géodésiques se retranscrivent dans l’espace euclidien tangent selon les trajectoires nouvelles: l’observateur euclidien concluera à l’existence de forces (fig. 8).

Ainsi, les trajectoires d’une planète seront entièrement déterminées:

– d’une part, au moyen du postulat géodésique qui exprime l’accélération de la planète, non pas en fonction d’un potentiel scalaire U, comme le potentiel newtonien, mais en fonction des dix composantes d’un potentiel tenseur;

– d’autre part, grâce à l’expression de ce potentiel en fonction des données (masses, vitesses) relatives aux sources matérielles, sources du champ.

La loi du champ de gravitation se présente ainsi comme une condition de structure que doit satisfaire un espace non euclidien, pour une distribution de masses donnée.

Les vérifications d’une théorie non euclidienne de la gravitation sont évidemment liées aux prédictions nouvelles qui interviennent au-delà de l’approximation newtonienne. Effectivement, les équations des trajectoires des planètes, obtenues à partir de la relativité, diffèrent des conclusions newtoniennes. On obtient dans le cas de la relativité générale:

et dans le cas de la théorie newtonienne:

r = 1/u et étant les coordonnées polaires de la planète, m la masse du Soleil, h la constante des aires intervenant dans la première loi de Kepler. Les corrections aux prévisions newtoniennes résultent ainsi du second terme de l’équation (9).

Appliquée au mouvement de la planète Mercure, la présence du dernier terme de l’équation (9) entraîne la prévision d’une avance résiduelle strictement relativiste du périhélie (c’est-à-dire d’une avance non déductible d’une méthode newtonienne de perturbation) égale à 42 9 d’arc par siècle. Cette prédiction coïncide très exactement avec l’observation.

Il en est de même – avec une précision moins grande due aux données mêmes du problème – en ce qui concerne l’avance des périhélies des autres planètes (Mars, Vénus, Terre).

D’autre part, suivant la relativité générale, les trajectoires des rayons lumineux s’incurvent en passant au voisinage des corps de grande masse. Les rayons lumineux issus d’une étoile E décrivent ainsi, pour arriver à l’observateur O, une courbe dont les asymptotes forment un angle:

R étant la distance minimale séparant le corps central de la trajectoire des photons.

La déviation des rayons lumineux au voisinage des corps de grande masse permet ainsi d’apercevoir une étoile située au voisinage apparent du Soleil, étoile qui serait normalement occultée par la présence du Soleil en l’absence de cette déviation. En opérant pendant une éclipse de Soleil (de façon à ne pas voiler les observations), on peut alors mesurer l’angle 見 et l’on constate que les résultats obtenus témoignent d’un accord avec les prévisions issues de la théorie d’Einstein. L’expédition d’Arthur Stanley Eddington, réalisée en 1919, parut ainsi démontrer de façon irréfutable la faillite du mécanisme newtonien et l’avènement du cosmos de la relativité générale.

Enfin, une théorie non euclidienne du champ de gravitation prévoit une diminution apparente des fréquences émises par une source plongée dans un champ de gravitation intense (décalage vers le rouge). Autrement dit, un observateur soustrait à ce champ observe un décalage entre les fréquences de son propre étalon de temps et la fréquence qui parvient d’une horloge réputée identique, mais soumise à un champ de gravitation. Là encore, il existe un accord entre les prévisions de la théorie d’Einstein et l’expérience.

Les «effets» précédents, tout en étant faibles, restent certains. Or le succès et la valeur explicative d’une théorie tiennent beaucoup moins à la «grandeur» des quantités qu’elle fait intervenir qu’à la nécessité de les interpréter. La théorie non euclidienne de la gravitation constitue ainsi une explication suffisante, qui s’insère dans le développement naturel de la notion de relativité et s’exprime par une condition géométrique à la fois simple et contraignante.

Bien entendu, la théorie non euclidienne du champ de gravitation implique d’autres conséquences, en particulier la prévision d’un rayonnement gravitationnel émis par un système de masses perdant – éventuellement – de l’énergie. Néanmoins, en dépit des expériences qui tentent actuellement de détecter ce rayonnement, on ne peut expliciter encore ses caractères.

8. Les extensions de la théorie non euclidienne

Théories unitaires

La géométrisation des phénomènes de gravitation a parfois été considérée comme la première étape d’une géométrisation plus complète, incluant en particulier les phénomènes électromagnétiques. De même que le newtonianisme tentait de réduire à l’attraction l’ensemble des phénomènes physiques, de même on peut rattacher à une structure géométrique de l’espace-temps non seulement le champ de gravitation, mais l’apport phénoménologique du champ électromagnétique et des sources matérielles.

On a ainsi édifié des «théories unitaires», groupant les lois de la gravitation et les lois de l’électromagnétisme dans un même formalisme. Ces lois apparaissent alors comme les conditions de structure que doit satisfaire un espace plus complexe que l’espace de Riemann utilisé pour décrire géométriquement les seuls phénomènes de gravitation: on introduira ainsi des espaces non riemanniens possédant une torsion, ou bien encore des espaces de Riemann pentadimensionnels.

Ces tentatives, souvent ingénieuses, peuvent décevoir le physicien en ce sens que la synthèse gravitation-électromagnétisme conduit à des effets nouveaux trop faibles pour être infirmés ou confirmés par l’expérience.

Théories cosmologiques

Enfin, la théorie de la gravitation d’Einstein, en déduisant la géométrie de l’espace-temps d’une distribution matérielle locale, peut étendre son ambition à la description de l’Univers dans son ensemble.

Les sources matérielles sont assimilées à un gaz présentant une distribution homogène et isotrope. Les galaxies et amas de galaxies constituent, à cette échelle, les molécules de ce gaz, et on cherchera quelles géométries peuvent correspondre aux particularités de la distribution. L’idée de «modèle cosmologique» est ainsi beaucoup plus naturelle dans la théorie de la gravitation d’Einstein que dans les conceptions newtoniennes. La première s’exprime en effet par des conditions de structure et peut s’appliquer à un ensemble statistique; la seconde s’appuie sur une loi élémentaire dont les extensions cosmologiques sont moins évidentes.

L’un des objectifs des théories cosmologiques a été de fournir une interprétation de l’effet Hubble (1921), c’est-à-dire du décalage des fréquences vers le rouge, décalage observé sur les rayonnements provenant des galaxies lointaines. Ce décalage se présente comme un effet Doppler que produirait une vitesse de récession de ces galaxies. On ne peut l’expliquer à partir de modèles cosmologiques statiques, déduits de la relativité générale en introduisant une constante cosmologique; il faut partir de modèles dynamiques.

La théorie de la gravitation d’Einstein peut être aussi appliquée à l’étude de la stabilité des masses stellaires. Pour toute étoile, l’action attractive des forces de gravitation doit être en effet compensée par une pression, de façon à maintenir l’étoile en équilibre. Une diminution suffisante des réserves d’énergie entraîne une composition de l’étoile en gaz de Fermi dégénéré, mais permet encore une stabilité, tout au moins pour les étoiles dont la masse est égale ou inférieure à trois masses solaires environ. Cette conclusion coïncide avec les observations.

Quant aux étoiles dont la masse est supérieure à trois masses solaires, elles devraient subir, d’après la relativité générale, un effondrement irréversible dit «collapse gravitationnel». En deçà d’une zone critique, déterminée par le rayon r = 2Gm /c 2, les radiations émises par une source restent prisonnières dans cette région et ne peuvent plus atteindre aucun observateur extérieur. On constaterait ainsi des effets gravitationnels intenses non accompagnés de radiation.

Ce collapse gravitationnel pose de nouveaux problèmes, de même que l’étude des grands décalages de fréquences observés sur des sources radios.

La connaissance des propriétés et de la nature de la gravitation requiert les données propres à l’astrophysique aussi bien que les résultats d’expériences très fines destinées à mettre en évidence un éventuel rayonnement gravitationnel.

La contribution qu’une réflexion sur le cosmos et sur la gravitation peut tirer de l’expérience est bien loin d’être épuisée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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